Des voix, notamment au sein du Congrès National Africain (ANC, au pouvoir) et d’autres formations de gauche, s’élèvent appelant à mettre fin à ce monopole comme condition fondamentale pour mettre sur pied une nouvelle économie égalitaire mais surtout capable de répondre aux attentes de la majorité noire.
Jessie Duarte, secrétaire-général adjoint de l’ANC, a ravivé le débat en soulignant jeudi, lors d’une rencontre en ligne, que l’ANC, qui dirige le pays depuis la fin du régime de l’apartheid en 1994, veut jeter les bases d’une économie ouverte dans l’après-Covid-19.
Cette économie doit être fondée sur les principes de la Charte des libertés, qui souligne que le pays appartient à ceux qui y vivent, a dit Duarte. Elle a relevé que dans l’actuelle situation, les structures de l’économie sud-africaine montrent que « les personnes qui contrôlaient l’économie avant 1990, sont les mêmes qui sont en charge aujourd’hui ».
Ceci, a-t-elle ajouté, explique « l’échec » de l’Afrique du Sud à mette en place une économie inclusive.
« Naturellement, nous souhaitons voir les Sud-Africains noirs prendre en charge l’économie », a encore dit la responsable de l’ANC.
Selon les données du World Inequality Lab, 10 pc seulement de la population sud-africaine possèdent 86 pc des richesses du pays. Les chiffres du Lab montrent une inégalité extrême : 3500 personnes (soit 0,01 pc de la population adulte) possèdent plus que les 32 millions de personnes pauvres.
Les richesses recensées englobent notamment la propriété foncière, les parts dans le capital des grandes entreprises, les actions en bourse et les assurances. Il s’agit de chiffres qui révèlent les privilèges économiques hérités d’une génération à l’autre.
Pour le chercheur Aroop Chatterjee, l’inégalité des richesses montre « que l’héritage de l’apartheid se manifeste aujourd’hui » et le gouffre entre ceux qui possèdent beaucoup et ceux qui possèdent peu ou rien suggère que les structures de l’économie n’ont pas fondamentalement changé depuis la fin du régime ségrégationniste.
La pandémie du coronavirus, qui a infecté plus de 40.000 Sud-Africains jusqu'à jeudi, a mis à nu l’étendue de ces inégalités.
Cette situation a poussé le président Cyril Ramaphosa à mettre la main sur ce problème qui dure depuis plus de deux décennies. En annonçant le confinement dès le mois de mars dernier, Ramaphosa a reconnu que la « nouvelle économie doit reposer sur la justice et l’égalité ».
Depuis lors, le chef d’Etat sud-africain n’a eu de cesse de reconnaître l’échec des politiques poursuivies depuis 1994. Il est revenu à la charge au début de cette semaine, en soulignant que son gouvernement s’attèlera à rétablir les équilibres d’une économie rongée par le chômage et les inégalités.
« L’Etat dont j’ai hérité est un Etat affaibli », a-t-il dit, relevant que la nouvelle économie sud-africaine doit être fondée sur une profonde transformation.
« Cette transformation est devenue un impératif » pour solder l’héritage « raciste et colonial », a encore dit Ramaphosa.
Par ailleurs, le parti communiste sud-africain, qui fait partie d’une alliance tripartite aux côtés de l’ANC et de la puissante centrale syndicale du COSATU, est monté créneau pour souligner que la pandémie du coronavirus a montré que l’économie sud-africaine, dans son état actuel, n’a pas réussi à répondre aux besoins de la majorité noire.
Julius Malema, chef du parti radical de l’Economic Freedom Fighters (EFF, opposition), n’a pas laissé échapper l’occasion pour appeler à « une fin de l’économie blanche ».
Il a saisi l’occasion de l’assouplissement des mesures de confinement pour épingler le gouvernement de l’ANC, l’accusant de sacrifier la vie de la majorité noire pour « servir les intérêts économiques de la minorité blanche ».
Au milieu de ce débat dans une Afrique du Sud en proie à une grave crise économique bien avant l’arrivée du coronavirus, l’ANC a proposé un plan de relance économique après la pandémie du coronavirus.
Le plan prévoit un recours aux fonds de retraite et à la banque centrale pour financer des projets d’infrastructures pour redynamiser la croissance économique.
En vertu du plan, le gouvernement sud-africain devra mettre en place une nouvelle banque étatique et de nouvelles compagnies pour tirer la croissance, au point mort.
Cependant, le plan s’est heurté à l’opposition des groupes de lobbying économique et du secteur privé, qui y ont vu un retour aux « dogmes idéologiques » de l’ANC.
La nouvelle feuille de route vient raviver « les anciens dogmes idéologiques » qui visent à accorder à l’Etat un rôle plus important dans l’économie, a dit Unity South Africa.
Le groupe a mis en garde contre toute tentative de modifier le rôle de la banque centrale en portant atteinte à son indépendance.
« Nous devons nous accorder sur des réformes structurelles cruciales pour encourager l’investissement, la croissance et l’inclusion », a, pour sa part, indiqué Cas Coovadia, président exécutif de la fédération des entreprises sud-africaines, Business for South Africa.
« Nous demeurons convaincus que le secteur privé est le mieux placé pour stimuler la croissance économique », a-t-il dit.
Ce débat qui promet de s’intensifier dans les jours qui viennent, intervient dans une conjoncture pour le moins grave. L’économie sud-africaine devrait se contracter de 7 pc en 2020 en raison du Covid-19, selon la banque centrale du pays. D’autres analyses prévoient une contraction à double chiffre.
La crise menace également d’aggraver la crise sociale avec la perte de millions d’emplois. Selon certaines études, le chômage, qui se situait à environ 30 pc de la population active avant l’arrivée du Covid-19, devra grimper à plus de 50 pc cette année.