Dans un entretien accordé à la MAP, le juriste explore les intersections du racisme 2.0 avec la liberté d’expression depuis la démocratisation de l’accès au "world wide web" avec son entrée dans le domaine public le 30 avril 1993.
1- Quelle est votre lecture en tant que juriste de la présence du discours de la haine et du racisme sur les réseaux sociaux dans un contexte marqué par la Covid-19 ?
Les réseaux sociaux constituent un vecteur de communication privilégié, eu égard aux nombreux avantages qu’ils confèrent aux utilisateurs, personnes physiques ou personnes morales de Droit public ou privé. En effet, la communication à travers les réseaux sociaux assure la propagation instantanée d’informations et permet d’atteindre une très large population désormais de plus en plus connectée, plus particulièrement, suite à la crise sanitaire liée à la Covid-19 dont le développement a accéléré davantage la transition vers le digital.
Ceci étant, les outils de communication mis à la disposition des utilisateurs par les fournisseurs de réseaux sociaux sont malheureusement susceptibles d’être exploités à mauvais escient. C’est ainsi que, sous couvert d’anonymat, certains utilisateurs malveillants se permettent de proférer et de relayer des propos ou des contenus incitant à la haine et au racisme.
Dans le contexte de la crise sanitaire liée à la Covid-19, le monde entier a assisté à la prolifération d’actes incitant à la haine, à la discrimination et au racisme, notamment à l’encontre de populations d’origine asiatique; les Chinois en particulier. Il est regrettable de constater que, dans certains cas, ce sont des dirigeants et hauts responsables, à travers les médias et les réseaux sociaux, qui ont incité, directement ou indirectement, au racisme et à la xénophobie.
2 - Comment se reflète le discours du racisme sur les réseaux sociaux ?
Le racisme existe et se manifeste partout sur la toile. Dans le cas du Maroc, en revanche, ce genre de discours n'a pas de forme organisée et structurée, voire même politique. L'on assiste le plus souvent à l’expression, par certains internautes, d’un sentiment de "supériorité" en raison de l’appartenance à une certaine catégorie sociale ou à certaines familles issues de régions particulières. Ce phénomène n'est pas nécessairement assimilé au racisme.
3 - Quelles lois sanctionnent le racisme en général au Maroc et sur la toile en particulier ?
Au Maroc, un ensemble de dispositions ont été consacrées aux fins de faire face aux actes de discrimination et de racisme. Aux fins d’illustrer ces propos, il est opportun de faire référence, à titre non exhaustif, à des dispositions proscrivant et sanctionnant de tels actes.
C’est ainsi que l’article 23 alinéa 6 de la Constitution marocaine de 2011 dispose expressément qu’"est proscrite toute incitation au racisme, à la haine et à la violence".
Le Code pénal marocain sanctionne le racisme à travers le prisme de la discrimination opérée entre les personnes physiques ainsi qu’entre les personnes morales. En vertu des dispositions du premier alinéa de l’article 431-5 du Code pénal, le législateur sanctionne les actes incitant à la discrimination ou à la haine entre les personnes de l’emprisonnement d’un mois à un an et d’une amende de 5.000 à 50.000 dirhams ou de l’une de ces deux peines seulement. A noter que sont consacrées des peines privatives de liberté, le cas échéant, plus sévères lorsque les propos discriminatoires sont proférés par voie électronique ou audiovisuelle.
A cet égard, le second alinéa de l’article 431-5 du Code pénal dispose que "La peine encourue sera l’emprisonnement d’un an à deux ans et d’une amende de 5.000 à 50.000 dirhams ou l’une de ces deux peines seulement si l’incitation à la discrimination ou à la haine entre les personnes est commise par discours, cris ou menaces proférés dans les lieux ou réunions publics, par des affiches exposées aux regards du public ou par tout moyen qui remplit la condition de publicité y compris par voie électronique, sur papier ou par voie audiovisuelle".
4 - Est-t-il possible de dresser le profil des personnes qui disséminent les propos racistes sur les réseaux sociaux?
Le racisme et les propos discriminatoires, à des fins malveillantes, publiés ou relayés sur les réseaux sociaux sont susceptibles de se manifester à travers le recours à différents modes opératoires. Pendant que la plupart des utilisateurs préfèrent agir sous la protection de l’anonymat ainsi que de la politique de confidentialité des fournisseurs des réseaux sociaux, pour exposer, sans ambages, leurs idéologies racistes, d’aucuns, en revanche, affichent leur identité réelle encourant au passage le risque de s’exposer aux sanctions pénales applicables en la matière.
Par ailleurs, l’on retrouve également la situation où les adhérents aux idéologies racistes se regroupent en formant une communauté partageant les mêmes aspirations répréhensibles sur les réseaux sociaux aux fins de conforter leurs idées communes, voire même engager des actes de haine et de discriminations prémédités en s’attaquant à une ou des cibles préalablement désignées.
5 - Comment lutter contre le racisme sur la toile sans toucher à la liberté d'expression?
S’agissant de la prolifération des propos racistes et discriminatoires sur la toile, les fournisseurs de réseaux sociaux jouent un rôle fondamental quant à la régulation des contenus publiés sur leurs plateformes. En effet, ces derniers sont tenus de mieux réguler les contenus publiés sur leurs plateformes en temps opportun pour agir efficacement, en veillant surtout à ne pas faire la promotion de la haine et du racisme à travers le sponsoring payant.
Par ailleurs, la condamnation judiciaire des auteurs anonymes de propos racistes et discriminatoires sur les réseaux sociaux est entravée par la politique de confidentialité d’une majeure partie des fournisseurs de réseaux sociaux qui protège, dans une certaine mesure, l’identité des détenteurs de comptes ou de profils utilisant leurs plateformes en ce qu’ils disposent de toute la latitude pour refuser de divulguer aux autorités, qui en font la demande, des informations personnelles susceptibles de conduire à leur identification.
Au Maroc, la liberté d’expression est garantie en vertu de l’article 25 de la Constitution. Dans tous les cas, il appartient aux autorités judiciaires d’encadrer les frontières et limites de l’exercice d’un tel droit en faisant application des textes de loi en vigueur à l’aune de leur pouvoir d’appréciation.
De manière plus générale et au-delà du cadre légal sanctionnant les actes de haine, de discrimination et de racisme, la lutte contre le racisme requiert un travail de fond, en s’engageant dans un processus d’éducation et de sensibilisation des populations aux fins de prendre conscience de la gravité et de l’ampleur desdits actes, ainsi que des conséquences qu’ils sont susceptibles d’engendrer au niveau de la société.