.-Par Houcine MAIMOUNI-.
S’il est une constante qui a marqué le Danemark en 2019, ce serait assurément le changement en douceur, cette rare formule propre à un pays habitué depuis des lustres à l’art des compromis, à la magie des consensus collectivement assumés.
Charriant dans ses méandres les séquelles de 2018, l’actuelle année qui tire à sa fin a dû solder au passage un passif bien lourd d’interrogations brûlantes, d’attentes inassouvies, de promesses non tenues,…
Pour un pays où la machine électorale est bien huilée avec un système politique des plus stables, il n’en fallait pas plus qu’un scrutin universel, ce qui fut chose faite un 5 juin. A l’image d’un oracle, les urnes ont parlé.
Le parti social-démocrate (SD), vainqueur sans surprise des législatives, a magistralement administré la preuve que les soubassements idéologiques peuvent bien s’accommoder d’un "changement de paradigme", surtout en matière d’immigration.
C’était du moins le mot d’ordre de Mette Frederiksen, dirigeante du SD et actuelle Première ministre. A en croire les résultats du scrutin (25,9% des suffrages, 48 sièges), il n’y aurait point de dissonance entre être à la fois social-démocrate et anti-immigration.
"Pour moi, il est de plus en plus clair que le prix de la mondialisation non régulée, de l'immigration de masse et de la libre circulation des travailleurs est payé par les classes inférieures", a affirmé Mme Fredriksen dans une biographie publiée avant le scrutin de juin dernier.
Hasard du calendrier, la jeune femme de 41 ans était hospitalisée pour une intoxication alimentaire le jour où l’ancien Premier ministre, Lars Løkke Rasmussen, avait annoncé des élections générales.
Très vite, avec tout l’élan qui est le sien, elle a marqué son retour sur Facebook avec une vidéo, la montrant en train de boutonner sa veste, arrangeant ses cheveux et glissant sur des talons aiguilles au son d’une musique heavy metal. "Je suis prête à nouveau", a-t-elle déclaré à la caméra.
Et elle l’était avec l’art et la manière ! Avec son bloc de centre-gauche, elle n’a cessé d’occuper les devants de la scène, en menant une campagne alignée sur des positions à gauche sur l'économie et à droite sur l'immigration.
Sous sa direction, le SD a appelé à une limitation des "immigrants non occidentaux", à l'expulsion des demandeurs d'asile vers un centre d'accueil en Afrique du Nord et à l'obligation pour tous les immigrants de travailler 37 heures par semaine en échange des avantages sociaux.
Au cours de l’année dernière, elle a multiplié les entretiens avec le Parti du peuple danois (DF, extrême-droite) et a évoqué une éventuelle coopération au sein du gouvernement, tout en votant en grande partie pour les législations anti-immigration les plus dures que le gouvernement de coalition de centre-droite ait promulguées dans l’histoire du Danemark.
Tout y passe : De la loi autorisant la confiscation des bijoux des réfugiés à l’interdiction de la burqa et du niqab, en passant par les poignées de main obligatoires pour l’obtention de la citoyenneté et le plan d’hébergement des demandeurs d’asile criminels sur une île utilisée pour la recherche de maladies animales contagieuses.
Cerise sur le gâteau, elle a soutenu, en février dernier, ce que le parti populiste d’extrême-droite a qualifié de "changement de paradigme", une incitation à faire du rapatriement, plutôt que de l'intégration, l'objectif de la politique d'asile.
S’il est vrai que nombre de sociaux-démocrates ont critiqué la dérive à droite de leur cheffe sur la question migratoire, la plus jeune Première ministre du pays nordique n’en a cure.
"J'étais consciente que changer de positions au sein du parti prendrait beaucoup, mais je savais que je devais gagner ce combat", a-t-elle expliqué dans sa biographie, précisant que "normalement, je devais chercher à faire des compromis, mais pas sur la politique d'immigration."
Dans ce contexte assez tendu, il s’en est fallu que se manifeste à la mi-avril dans une zone à forte concentration de musulmans dans le quartier multiculturel de Norrebro à Copenhague, un certain Rasmus Paludan, fondateur en 2017 d’un parti xénophobe et ouvertement anti-islam, pour mettre le feu aux poudres.
Après deux jours de troubles, une imposante marche des musulmans du Danemark allait prendre un vendredi le départ des lieux mêmes où cet avocat de profession, youtuber de vocation et fondateur du parti Stram Krus "La Voie dure", entendait brûler un exemplaire du Saint Coran, pour accomplir la prière d’Al Asr à la mythique place de Radhuspladsen, siège de la mairie de Copenhague.
De quoi faire douter un politicien ordinaire, pas une dame née dans une famille où un arrière-grand-père a purgé la prison pour son action syndicale et, en 2001 (24 ans), déjà la plus jeune femme du groupe des Sociaux-démocrates au Folketing (Parlement danois).
Vice-présidente du groupe parlementaire de son parti de 2001 à 2005, elle a occupé le fauteuil de ministre de la Justice en 2014 et de ministre de l'Emploi de 2011 à 2015.
Après la défaite de son parti aux élections législatives de 2015, elle devient présidente des SD, et hérite de facto d’une tradition social-démocrate incarnée par sa prédécesseur Helle Thorning-Schmidt (2011 et 2015), première femme Premier ministre du pays qui défendait une politique d'austérité en réponse à la crise économique de 2008. Tout un symbole !
Fallait-elle tendre l’oreille à une Droite aux abois qui quémandait un gouvernement d’union nationale, ou se plier aux diktats d’un outsider qui multipliait profanations d’exemplaires du Saint Coran dans un contexte électoral rudement secoué par le risque inédit de la montée en puissance de l’extrême-droite partout en Europe?
En politicienne-née, elle a savamment surfé sur les deux vagues créant par un magistral coup de cisailles des couloirs dans les blocs qui risquait de lui barrer la route à la primature. Résultat : Elle s’en est sortie avec un gouvernement Social-démocrate, appuyé par ses alliés de gauche.
Dans la foulée, l’ancien PM Lars Løkke Rasmussen (parti Venstre) a jeté l’éponge, tout comme son ministre des Finances du même parti, ou son ministre des AE Anders Samuelsen (Alliance libérale), ou encore le… dernier en date, le fondateur et leader du parti écologiste danois Alternative, Uffe Elbæk, qui espérait à 65 ans briguer un poste de Premier ministre.
Mauvais timing au moment où le Danemark se présentait en star à COP Madrid ? Peut-être, mais un changement de rhétorique n’empêche point une rhétorique de changement !